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Philippe Djian
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15 juillet 2008

"Ecrire la vibration du monde", par Véronique Châtel (Le Nouvelliste)

Rencontre à Paris avec un écrivain déjà mythique mais toujours atypique.

La sixième et dernière saison de sa série littéraire, «Doggy bag», vient de paraître. L'occasion pour Philippe Djian, de s'extraire du tête-à-tête avec sa feuille blanche et de s'expliquer sur ses choix stylistiques.

Cela vous fait quoi de lâcher vos personnages, les frères Sollens, leurs parents, leurs amours, après trois ans?

Philippe Djian: - Je ne sais pas si je les lâche. Le lecteur oui, mais moi, il n'est pas impossible que je refasse un bout de chemin avec eux dans quatre ou six ans. Ce qui est sûr c'est que maintenant, j'ai envie de passer à autre chose.

Avec le recul, c'est quoi pour vous «Doggy bag»?

C'est 2000 pages! Du boulot, donc. Car je n'écris pas à toute allure: une page par jour, quand ça se passe bien! Je réfléchis beaucoup. Chaque phrase pour moi est un problème: je la rumine, la tourne dans tous les sens, je vois si elle fonctionne avant de l'écrire. En genre littéraire, je dirais que «Doggy bag» est un divertissement. J'ai essayé de créer en littérature, ce dont les gens raffolent actuellement, une série. Je n'avais aucune idée de ce que j'allais faire ni si j'allais être capable de créer un rythme de récit aussi réussi que dans «Six Feet under» ou les «Soprano», que j'adore. Mais je me suis dit, si les gens aiment ça, il faut leur donner ça, voilà. Un écrivain doit choper la vibration du monde.

Pourquoi avez-vous appelé cette série «Doggy bag»?

Quand je l'ai commencée, je ne savais pas de quoi j'allais parler. J'ai vu une femme qui marchait dans la rue, je l'ai suivie, elle montait dans un bus, elle en descendait pour entrer dans un garage, dirigé par deux types, deux frères... C'était vague au début. J'aimais bien la sonorité de «Doggy bag», et aussi que cette expression ne fasse pas seulement référence à la nourriture. Ce sont les choses qu'on vit, qui nous imprègnent sans qu'on s'en aperçoive et qu'on rumine.

Vos personnages auraient pu être n'importe qui d'autre?

Quand j'écris, l'histoire m'intéresse très moyennement. Depuis Shakespeare, j'ai l'impression d'avoir tout lu: tu m'aimes, tu m'aimes pas, les problèmes d'identité... Tout ça existe depuis la nuit des temps. N'étant ni un philosophe ni un penseur, la seule chose intéressante, à mon avis, c'est la manière de raconter. C'est la langue. La littérature, c'est une matière vivante, il faut la nourrir, la pétrir. La langue devrait être l'outil que l'écrivain propose aux autres pour comprendre le monde. Par exemple j'aime Proust et Flaubert, mais ce ne sont plus des gens qui m'aident à comprendre le monde dans lequel je vis aujourd'hui.

Vous lisez qui alors?

Je suis difficile. N'ayant pas une espérance de vie de 200 ans, et ne pouvant pas passer mon temps à bouquiner, je fais attention à mes choix. Ce qui m'intéresse, c'est le style. La musique. J'aime bien par exemple, Bret Esaton Ellis, Donna Tartt, Jean Echenoz ou encore Christian Gailly.

Où prenez-vous le pouls du monde pour le comprendre et le restituer à vos lecteurs?

Je vais au café, je voyage: on a passé quinze ans, ma famille et moi, ailleurs qu'à Paris, on a vécu à Boston, Florence, Biarritz, Bordeaux, Lausanne. Cela dit, le bon auteur n'a besoin que d'une fenêtre qui donne sur la rue. Il peut prendre le pouls à travers un seul regard. Beaucoup d'écrivains qui ont trop voyagé, sont devenus écrivains voyageurs, qui est un genre particulier, ou ont été ensevelis. Il faut du temps pour écrire.

Pourquoi êtes-vous devenu écrivain?

Si j'aime construire des phrases, je le dois un peu à un type qui a débarqué dans ma classe de quatrième au collège. Il venait de Morzine et n'avait jamais foutu les pieds dans une école. Il s'est assis à côté de moi, et j'ai reconnu tout de suite un génie. Surtout en français. «On peut devenir copains, mais il va falloir qu'on s'écrive», il m'a dit. ça m'a paru bizarre, mais on a commencé à échanger des lettres. Les siennes étaient magnifiques, il avait un style incroyable. Il a donc fallu que je fasse des efforts pour bien rédiger. Je ne me serais pas donné ce mal pour le prof de français!

Plus tard, on a voyagé ensemble, en Amérique du Sud, aux Etats-Unis et on a tenu des cahiers de voyage. On notait à tour de rôle tout ce que l'on avait vécu dans la journée. C'est là que j'ai découvert que l'écriture aidait à remettre de l'ordre dans le chaos, et que cela m'apaisait. Mais j'aurais adoré être musicien. Mon frère est pianiste et quand je le vois faire corps avec son instrument j'ai une langue jusque-là. J'ai joué de la guitare comme tout le monde, seulement je suis sourd d'une oreille, alors...

Qui sont les auteurs qui vous ont aidé à oser affronter la page blanche?

A 20 ans, quand je me sentais mal, je n'allais pas chez le docteur, j'entrais dans une librairie. J'essayais de trouver des livres dans lesquels je comprendrais le monde. Raymond Carver, Jack Kerouac, Henry Miller ont fait partie de ceux qui m'ont ouvert les yeux. J'ai vu chez Carver par exemple comment dans une phrase on fait tenir l'univers, car elle a la bonne longueur, le bon rythme, la bonne sonorité. J'essaie aujourd'hui de faire pour les autres ce que ces grands-là ont fait pour moi. A part cela, qu'est-ce qui fait qu'on reste assis devant sa feuille? Je me suis toujours demandé comment j'avais fait mon compte.

Comment définiriez-vous votre style?

Comme celui de quelqu'un qui tricote des mailles: quand j'écris, je suis près de la maille, je veille à ce que la maille soit bien faite, et que ce que je voulais dire a été bien dit... J'ai toujours l'impression que le style est avant. Ecrire comme on apprend à l'école, cela n'a aucun intérêt. La belle littérature ne m'intéresse pas. On vit dans un monde beau et laid et la littérature doit rendre compte de cela.

Quels souvenirs gardez-vous de votre séjour en Suisse?

Le lac qui change sans cesse de couleurs et qui est une métaphore de l'écriture. Le fait de pouvoir voir un concert le soir à Zurich et rentrer chez soi après, bien que vous habitiez à l'autre bout du pays!

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