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Philippe Djian
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6 mars 2010

Philippe Djian et Stephan Eicher à Neufchâtel

La ville de Neuchâtel accueillera vendredi 19 mars le lancement de la 15e Semaine de la langue française et de la francophonie (SLFF).

De nombreuses manifestations sont prévues dans dix-sept localités suisses, notamment à Genève, Berne et Zurich.

Elles se dérouleront à l'enseigne de «Remuez votre langue», a indiqué mardi dans un communiqué la Délégation à la langue française (DLF). Cet organe a assuré les préparatifs de la 15e SLFF pour le compte de la Confédrence intercantonale de l'instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP).

Des manifestations sont prévues en Suisse mais aussi dans d'autres pays. Le public francophone et non francophone sera invité à cette occasion à s'approprier la langue française dans les formes d'expression diverses et particulières à chaque pays où elle est en usage.

L'écrivain français Philippe Djian et le musicien suisse Stephan Eicher seront les parrains du volet suisse des manifestations. Les deux compères, dont le premier est le parolier du second, monteront ensemble sur scène à Neuchâtel, Genève, Berne et Zurich à l'occasion d'une série de «concerts littéraires».

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Maison du Concert

Les deux artistes se produiront vendredi 19 mars à 20h30 à la Maison du Concert à Neuchâtel pour le lancement de la Semaine de la langue française et de la francophonie (www.slff.ch). A Neuchâtel, le week-end des 20 et 21 mars donnera lieu également à un Grand Bazar francophone animé par le chanteur «K».

Des manifestations sont prévues également au Péristyle de l'Hôtel de Ville. Le programme de la 15e SLFF a fait l'objet d'une coordination assurée par le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) et l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF).

Plus d’informations sur le site internet de la Semaine de la langue française et de la francophonie.

*****

Le mot du parrain - Philippe Djian

"J’habitais  Boston depuis quelques mois. A Cambridge, plus exactement, de l’autre côté de la rivière Charles. Il faisait très froid, nous traversions un redoutable hiver, mais ce n’était pas le froid qui posait problème, qui faisait planer un voile de mélancolie sur l’ensemble. Le matin, depuis des mois,  j’écoutais la radio, je m’arrêtais et j’écoutais sans bouger — jusqu’à me sentir légèrement engourdi. En passant, je jetais un oeil sur la télé et je les écoutais parler. Puis j’allais chercher le journal qu’ils jetaient sur le pas de ma porte et je lisais les gros titres.

Je n’y faisais pas trop attention. Je n’y prenais pas garde. J’avais aménagé un bureau sous les toits et bien que la vue fût magnifique — je pouvais surveiller la rivière de mon vasistas, ses rives blanches de givre, ses plaques de glace translucides emportées par le courant, pleines de lenteur, de scintillement, etc. —, je commençais à me sentir déprimé.

J’ai vécu cette situation en Italie, quelques années plus tard. Nous avions loué une maison au-dessus de Florence et j’avais beau, chaque matin, à l’aube, me repaître du tableau à la beauté surnaturelle qu’offrait le Dôme étincelant de lumière, émergeant au centre d’une cuvette de brume ornée de cyprès au style impeccable, boire mon café chez Gilli, et j'en passe, je sentais malgré tout la solitude refermer sur moi ses puissantes et molles tentacules, je sentais une indéfinissable tristesse m'envahir jour après jour.

Mais la première fois, c’est donc au cours de ce long hiver dans le Massachusetts, au rayon légumes d’un magasin de produits bio où j’avais une altercation avec  une vendeuse qui ne me laissait plus placer un mot, aux environs de huit heures du soir, comme il se mettait à neiger dans la nuit tombée — des flocons gros comme des noix. Un désaccord sur le prix d'une citrouille.

J’ai senti que je devais me remettre à écrire. Nous avions passé un mois à l’hôtel, puis j’avais dû réaménager quelque peu l’espace de la maison que nous avions louée à Bill Walton, un géant de deux mètres onze qui avait fixé les miroirs trop haut, ainsi que les lavabos et les urinoirs. Je ne m’étais pas encore assis pour écrire une ligne.

Ainsi, cependant qu’une demie dingue avait consciencieusement entrepris de me casser les oreilles devant une pyramide de légumes, je me rendis soudain compte que ma langue me manquait affreusement, que l’entendre et la lire me manquaient affreusement, à quel point j’y étais attaché, à quel point sa présence à mes côtés me semblait nécessaire et vitale. Je regardais cette femme qui vociférait sous mon nez dans son dialecte, et je me sentais un peu comme un enfant abandonné, loin de la chaleur de sa mère. “Vous êtes la goutte d’eau qui fait déborder le vase, lui ai-je déclaré en reposant brutalement la citrouille. Vous pourriez au moins parler français. C’est tout ce que j’ai à vous dire. Mais en même temps, vous m’avez ouvert les yeux. Nous sommes quittes.”

Je gagnai la sortie du magasin en me bouchant les oreilles. Je respirai longuement dans l’air vif avant de songer à m’abriter des flocons, puis je griffonnai quelques mots dans un carnet — la batterie de mon smartphone était morte."

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Commentaires
N
PJ: "Vous pourriez au moins parler français"<br /> <br /> ... "Oh Sir, excuse my French!"
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