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Philippe Djian
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26 juin 2011

"Lâcher prise absolu" (Sud Ouest, 26/06/11)

vengeances200

 

«Vivre n'était pas une promenade de santé. Plutôt une marche forcée. » Dès les premières pages, Djian donne le ton. Pourrait-il en être autrement ? Marc, 45 ans, bien que plasticien reconnu, est irrémédiablement seul…

Deuxième paragraphe : Alexandre, son fils de 18 ans, s'est tiré froidement une balle dans la tête lors d'une soirée entre amis. Julia, la mère de son fils, l'a quitté depuis longtemps. Comme Élisabeth, sa dernière compagne, depuis la dépression qui a suivi ce suicide « terrifiant »… Seules bouées de sauvetage, qui flottent perpétuellement vers lui plus qu'il ne les recherche : Michel, son agent, et sa femme, Anne, son ex-amante.

Deuxième page du roman : Marc, dans le métro, vient en aide à une jeune blonde, une beauté sombre de 20 ans, passablement ivre, qui « vomit dans ses souliers, de bon matin ». Pas terrible. « Elle ne s'était pas loupée, maculant le devant de sa jupe et une manche entière de sa veste » avant de glisser sur le sol…

Elle s'appelle Gloria. Marc la récupère et l'installe chez lui. Pourquoi ? Il n'en sait rien, donc nous non plus. Quasiment au réveil, elle casse tout, sa Gibson, un cadre dans lequel se trouvait la photo d'Alexandre qui disparaît. Elle déteste Marc, le lui dit. Il comprend qu'elle était la petite amie de son fils. Elle reste.

Au fil du temps, des silences et des cuites, la guerre froide devient coexistence tout juste pacifique. Mais quand même. Marc n'attend rien, ne demande rien. Gloria, au gré de ses humeurs, de ses frustrations aussi, lui lâche quelques bribes sur Alexandre. Il faisait les poches de son père. Il était devenu végétarien. Avait des poussées d'eczéma en cas de contrariété. Et, surtout, était persuadé qu'il n'était pas le fils de Marc, vu le peu d'attention que ce dernier lui accordait.

Gloria dit-elle vrai ? Est-elle l'incarnation de la vengeance(s) qui donne son titre au livre ? Djian, bien sûr, ne donne pas la clé pour sortir de ce trouble labyrinthe. Pas plus qu'il n'embarque Marc sur la voie du désir, pourtant toujours latent chez ceux qu'il côtoie, femmes et hommes. Djian n'use pas davantage de l'humour caustique qui fait généralement toujours mouche dans son univers romanesque. Qui fait qu'on aime mordre à pleines dents avec lui dans cette vie, même si, on y revient, elle n'est pas une promenade de santé.

Souffle particulier

« On ne peut pas se tenir responsable de la folie générale », dit Michel à Marc. Dans ce monde ou plus personne ne s'entend, au propre comme au figuré, où les enfants se « démâtent » à une vitesse supersonique, sans le doux plaisir de l'ivresse, Marc lâche prise. Totalement. Et c'est le choix de Djian. Qui ébauche des pistes, choisit de n'en suivre aucune.

Reste un style, un souffle, une aspiration si particulière qui nous attire depuis trente ans. Une ambiance qui, cette fois, aboutit à la frustration. Vengeance ? Djian maintient son cap : « La vraie question pour moi, ce n'est pas le roman, mais la phrase. Dans le fond, raconter des histoires m'a toujours emmerdé. » On le croit au bout de 193 pages.

 

Rémi Monnier, Sud Ouest, 26/06/11

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